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volonté de puissance

  • Nietzsche et le dépassement de la métaphysique...

    Nous reproduisons ci-dessous une réflexion de Pierre le Vigan autour du rapport de Nietzsche à la métaphysique cueillie sur le site de la revue Éléments.

    Philosophe et urbaniste, Pierre Le Vigan est l'auteur de plusieurs essais comme Inventaire de la modernité avant liquidation (Avatar, 2007), Le Front du Cachalot (Dualpha, 2009), La banlieue contre la ville (La Barque d'Or, 2011), Nietzsche et l'Europe (Perspectives libres, 2022), Le coma français (Perspectives libres, 2023), Clausewitz, père de la théorie de la guerre moderne ou tout récemment Les démons de la déconstruction - Derrida, Lévinas, Sartre (La Barque d'Or, 2024).

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    Il n'y a nul doute sur le fait que Nietzsche a voulu penser un monde sans arrière-monde, un monde sans principe extérieur à lui-même, un monde sans dualisme entre un créateur et une création. A bon droit, on a appelé cela une critique radicale de la métaphysique. C’est-à-dire de toutes les métaphysiques précédentes, à commencer par celle de Platon, accusée de préférer l’Idée, le Beau abstrait, au sensible, au réel, au déjà-là. Nietzsche, destructeur « au marteau » de la métaphysique : telle est l’image que l’on en a. Une vision que Pierre Le Vigan interroge au regard des analyses de Martin Heidegger.

     

    Nietzsche et le dépassement de la métaphysique

    Martin Heidegger, quelque cinquante ans après Nietzsche, a vu sa pensée comme une nouvelle métaphysique. Et il l’a dit dans des textes qui, dans le contexte de l’époque, voulaient interdire toute récupération de Nietzsche par le national-socialisme allemand. Le surhomme ? La volonté de puissance ? Ce serait la métaphysique ultime. Avec ce thème de la volonté de puissance, Nietzsche aurait contribué à la dernière manifestation de la métaphysique : le règne de la technique. La volonté de puissance comme hypostase (ce qui soutient, ce qui est la substance) de la domination de la technique : voilà le bilan de Nietzsche selon Heidegger. Nietzsche : un philosophe immense, mais qu’il ne faut pas surtout pas suivre ?  Cela mérite d’aller y voir de plus près. D’autant que Heidegger lui-même porte sur Nietzsche un regard plus complexe que ce qui parait au premier abord.

    Au-delà de la métaphysique

    Dépasser la métaphysique, c’est une affaire, dit Nietzsche, qui exige « la plus haute tension de la réflexion humaine. » La  métaphysique, c’est le lieu qui essaie de penser l’étant, et donc l’être (l’essence) de l’étant. Elle cherche à définir le principe de cet être de l’étant (Dieu comme créateur du monde avec les monothéismes, la coïncidence de l’histoire avec le Soi de l’homme et le Soi du monde avec Hegel, le sens de l’histoire comme sens de l’homme avec Marx, etc). Ce programme parait à première vue légitime. Pourtant, selon Martin Heidegger, ces différentes tentatives de métaphysique tendent à nous éloigner de l’essentiel, qui est l’attention au monde, l’écoute de l’être. Une contemplation. « Il est vrai, écrit Heidegger, que la métaphysique représente l’étant dans son être et pense ainsi l’être de l’étant. Mais elle ne pense pas la différence de l’Être et de l’étant […]. La métaphysique ne pose pas la question de l’Être lui‑même. » (Lettre sur l’humanisme, 1947). Et c’est ici que Nietzsche est rencontré, mais il est rencontré comme un obstacle.

    « La pensée de Nietzsche, explique Heidegger, est, conformément à la pensée occidentale depuis Platon, métaphysique. » (Achèvement de la métaphysique et poésie, Gallimard, 2005, cours de 1941-42 et 1944-45). En outre, souligne Heidegger, la question : « Quel est l’être (ou l’essence) de l’étant ? » n’est qu’une ontologie régionale (de même qu’il existe des géographies régionales). Le monde ne se réduit pas à ce qui existe, il inclut différentes possibilités d’être. Ou, si on préfère, ce qui existe n’est pas simplement ce qui se voit, ce qui se manifeste.  Il faut aussi comprendre que toute pensée de l’étant existe du point de vue de l’homme. Elle implique donc une anthropologie, elle est aussi une entreprise historiale car l’homme est l’histoire constitutive de lui-même, à la différence de l’animal.

    La métaphysique consiste donc à dire quelque chose à propos de ce qu’est l’étant. De ce point de vue, Nietzsche ramène la métaphysique à ce que l’on peut strictement dire de la physique (phusis : la nature). C’est une hyperphysique. Nietzsche est destructeur d’idoles et accoucheur d’étoiles. Pour Nietzsche, l’essence de la physique, c’est-à-dire de l’étant, c’est la volonté de puissance. Son mode d’existence, c’est l’Éternel Retour. Son horizon, c’est le nihilisme qu’il faut faire toujours reculer, mais qui ne doit pas disparaître de notre horizon. S’il disparaît de notre horizon, si nous ne le voyons plus, c’est que nous sommes devenus le nihilisme. C’est que le nihilisme est caché en nous.

    Mais au nom de quoi lutter contre le nihilisme ? Au nom du vrai ?  Qu’en est-il alors de celui-ci ? La vérité dans la métaphysique est une notion délicate chez Nietzsche. On pense parfois que Nietzsche récuse la notion de vérité et on passe à autre chose. Nietzsche contre « la vérité » ? Ce n’est pas tout à fait cela. La vérité selon Nietzsche, c’est la justice dans le tragique. C’est l’amour du destin (amor fati). L’être, c’est la vie, Être, c’est vivre, et la persistance de l’être n’est pas autre chose selon Nietzsche que la volonté de vie. « L’être – nous n’en avons pas d’autre représentation que le vivre. Comment alors quelque chose de mort peut-il être ? »

    Volonté de vie. Cette volonté produit des valeurs qui sont sans cesse menacées de ruine et doivent constamment être régénérées et métamorphosées. Chaque nouvelle valeur produit de nouvelles vérités. La vérité existe donc, mais elle est historiale. Elle correspond à des époques historiques.  Elle varie en fonction des paradigmes que l’homme se donne et qui lui permettent de se produire et de se reproduire lui-même à différentes époques et en fonction de différentes représentations du monde (notion centrale qui veut dire que le monde se présente à nous différemment en fonction des époques). 

    Dans cette perspective, l’éternel retour est éternel retour du surpassement des valeurs et donc de la volonté de puissance. Abolition et dépassement (Aufhebung). Ce qui est vrai, c’est ce qui est juste, et ce qui est juste, c’est ce qui permet la pérennité, et donc la réinvention permanente, de la puissance. Le surhomme est l’horizon de l’homme en tant qu’il nie et dépasse l’homme sans cesse, afin de mieux saisir l’être de l’étant, c’est-à-dire afin de mieux affirmer la vie de l’étant. Le surhomme est Selbstüberwindung, dépassement de soi. Le surhomme est donc au plus près du nihilisme, il est inscrit dans le même horizon, mais il lutte contre ce nihilisme (pour lutter, il faut être au contact). C’est pourquoi l’homme doit accepter d’être cyclique et sphérique comme l’est le monde. « Il me faut, pareil à toi [soleil] décliner… redevenir un être humain. » (Le Gai savoir, XII, 254-255). « Et ce sera le grand Midi quand l’homme sera au milieu de sa route entre la bête et le surhomme, quand il fêtera, comma sa plus haute espérance, son chemin qui conduit au soir, car c’est la route d’un nouveau matin. » (Ainsi parlait Zarathoustra, XIII, 99).

    Vérité du sensible ou vérité du supra-sensible ?

    Une vérité inscrite dans l’éternel retour de la volonté humaine, telle est la vérité selon Nietzsche. Cette conception de la vérité  est au rebours de celle développée par Platon. Si pour Platon, l’art est une imitation de l’apparence de la vérité (apparence qui n’est pas son essence), pour Nietzsche, l’art est une invention de la vérité. La vérité n’est pas derrière nous, elle est devant nous. C’est à nous de l’inventer. En poussant à peine les choses, on peut dire que pour Nietzsche, il n’y a de vérité que dans l’art. Ce qui est vrai et ce qui est juste, c’est ce qui donne de la force à la puissance. De la puissance à la puissance.

    Selon Nietzsche, contrairement à Platon, l’art et le sensible sont plus importants que la vérité et le supra-sensible. Ceci explique que selon Heidegger, Nietzsche renverse le schéma de Platon, mais ne le détruit pas. La volonté sans telos (finalité) devient, selon la lecture de Nietzsche par Heidegger, volonté de volonté, tournant sur elle-même, dans la lignée de la notion d’impetus (théorie expliquant le mouvement et son progressif épuisement). Une preuve que la volonté veut exister à tout prix, indépendamment de tout telos, est énoncée ainsi par Nietzsche : « L’homme préfère encore avoir la volonté du néant que de ne point vouloir du tout. »  (La Généalogie de la morale). 

    Mais du point de vue de Heidegger, la volonté de volonté débouche sur la dernière étape de la métaphysique, à savoir le triomphe de la technique. Cela n’a rien d’évident. Pourquoi la volonté de volonté serait-elle le prélude à une métaphysique de la technique plutôt que, par exemple, à une métaphysique de la guerre ? Pourquoi ne serait-elle pas plutôt un conatus spinoziste ? Conatus : énergie de persister. On peut questionner la thèse de Heidegger sur la métaphysique de la technique. Est-elle vraiment sans telos, cette technique qui constitue désormais la trame de notre monde commun ? Ou les hommes qui produisent et maîtrisent la technique ont-ils un telos en vue ? Reste que l’on ne peut contester le constat comme quoi la technique envahit tout le monde humain.

    L’idée de la puissance novatrice de la technique se trouve chez Nietzsche lui-même.  « La machine [existe] en tant qu’enseignante. » (Humain trop humain II). Ce qui veut dire que la machine a des choses à nous apprendre, et à nous apprendre sur nous. D’autant que Nietzsche doute que l’on puisse connaître de l’être humain « autre chose que ce qu’il est en tant que machine » (L’Antéchrist). Nietzsche se voit du reste lui-même comme « une machine prête à exploser. » La figure de la machine n’est ainsi pour Nietzsche pas le contraire de la figure humaine, Elle en est une représentation, y compris dans sa dimension d’accident et d’imprévisibilité.  Et la machine fascine Nietzsche : « Je songe beaucoup à m’acheter une machine à écrire » (Lettre à Peter Gast, 17 janvier 1882).

    Le moteur comme figure de l’éternel retour

    Heidegger relève que « le moteur est une figure très convaincante de l’éternel retour de l’identique » (In Essais et conférence, Gallimard, 2010). Et pour cette raison même,  Heidegger affirme que Nietzsche n’a pas annoncé la fin de la métaphysique mais un nouveau stade de celle-ci, qui serait la volonté de puissance culminant dans l’appel au surhomme. Le nietzschéisme : la forme métaphysique de l’ère de la technique. Nietzsche, dit Emmanuel Chaput suivant les traces de Heidegger, renverse le platonisme « aboutissant à l’accomplissement de la métaphysique dans la figure historiale de la technique ».

    Mais la figure du surhomme peut être vue sous différents angles, comme Nietzsche nous apprend à le faire pour toute chose. Heidegger lui-même, après-guerre, voit le surhomme nietzschéen d’une manière moins négative que ce fut le cas auparavant. Le surhomme de Nietzsche ne serait-il pas proche du « berger de l’être », que Heidegger nous demande d’imaginer et d’accueillir ? C’est ce que suggère le texte Qu’appelle t-on penser (1951-1952). C’est aussi l’interrogation de « Pourquoi des poètes ? » qui refait surface (in Chemins qui ne mènent nulle part, 1962) : « Plus la nuit du monde va vers sa mi-nuit, plus exclusivement règne l’indigence, de sorte que son essence [du monde] se dérobe. Même la trace du Sacré est devenue méconnaissable. La question de savoir si nous éprouvons encore le Sacré comme trace de la divinité du divin, ou bien si nous ne rencontrons plus qu’une trace du Sacré, reste indécise. Ce que pourrait être la trace de la trace reste confus (undeutlich : indistinct). Comment une telle trace pourrait se montrer à nous demeure incertain. » (« Pourquoi des poètes ? »in Holzwege-Chemins  qui ne mènent nulle part).

    Or, c’est bien de marcher sur cette trace qu’il est question avec le surhomme. « Le surhomme est plus pauvre, plus simple, plus tendre, plus dur, plus calme, plus généreux, plus lent dans ses décisions et plus économe dans sa langue. », dit Heidegger (Qu’appelle t-on penser ?).  Cette révision de la critique de Nietzsche par Heidegger amène à se poser une autre question : Nietzsche se contente-il de renverser la platonisme sans rien changer à sa structure ? Se contente-t-il de valoriser  le sensible en lieu et place du supra-sensible ? Le ressenti au lieu de l’Idée ? Le Zarathoustra ne nous fait-il pas entrer dans un au-delà de la distinction entre le sensible et le supra-sensible ?

    Réponse : le monde des phénomènes comporte lui-même la dimension de profondeur qu’on veut lui dénier et à quoi on veut l’opposer. « Mon moi m’a enseigné une nouvelle fierté, je l’enseigne aux hommes : ne plus cacher sa tête dans le sable des choses célestes mais la porter fièrement, une tête terrestre qui crée le sens de la terre. » (Ainsi parlait Zarathoustra). Pour l’ultime Heidegger, la figure de Zarathoustra peut relever d’un au-delà de la métaphysique, et donc d’un au-delà de sa dernière manifestation qu’aurait été la volonté de puissance nietzschéenne. Le philosophe de Sils Maria pourrait lui aussi avoir prôné une écoute de l’être qui est la définition même de ce que Heidegger appelle un « au-delà de la métaphysique ». En tout cas un « au-delà » de toutes les métaphysiques antérieures voulant rendre compte, de manière rationnelle, de l’existence éternellement mystérieuse du monde.  C’est le retour, comme l’écrit Gilbert Durand dans L’âme tigrée, du « grand nocturne du symbole, de la pensée indirecte, [c’est] le renouveau du mythe, la prédilection pour l’intimisme. »

    Pierre Le Vigan (Site de la revue Éléments, 27 août 2024)

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  • Les dernières lettres de Nietzsche...

    Les éditions Gallimard viennent de publier le sixième et dernier tome de la Correspondance de Friedrich Nietzsche qui couvre la période qui va de janvier 1887 à janvier 1889.

     

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    " Avec ce tome VI s'achève la traduction de la correspondance intégrale de Friedrich Nietzsche ; cet ultime volume rassemble les lettres des deux dernières années de la vie consciente du philosophe (1887 et 1888) et les "billets de la folie" des premiers jours de 1889. Un document qui éclaire l’œuvre."Je n'écris que ce que j'ai vécu et je m'y entends pour l'exprimer", affirme Nietzsche chez qui vie et pensée sont imbriquées comme chez nul autre, et c'est donc dans l'intimité d'un penseur en errance - d'un "Prince Hors-la-Loi" de l'esprit - que nous introduit cette correspondance de haut vol. Nietzsche y apparaît comme un philosophe en quête perpétuelle du climat favorable, de l'environnement supportable, du régime salutaire : il séjourne à Nice, à Sils-Maria, sur les lacs italiens et surtout à Turin, découverte tardive d'une ville en harmonie avec ses aspirations, où il s'effondrera en janvier 1889.Ses lettres sont aussi des lettres d'affaires : Nietzsche publie lui-même, à compte d'auteur, ces deux années-là, des œuvres aussi radicales que La Généalogie de la morale, Crépuscule des idoles, Le Cas Wagner et Ecce homo. Son projet philosophique se précise : la critique de la religion chrétienne comme expression éminente du ressentiment ; la préparation en secret d'une "transvaluation" de toutes les valeurs qui place un temps la "volonté de puissance" au centre de la réflexion. La relation avec le souvenir wagnérien devient déterminante, une problématique esthétique nouvelle s'installe avec la notion de décadence.Toutefois, ce qui frappe dans ces lettres familières, c'est l'extrême solitude dans laquelle évolue Nietzsche. La correspondance se déploie entre un petit nombre de personnes, ce qui lui confère une intensité humaine rare et une vraie portée philosophique. Les belles journées de Turin ont donné naissance à des livres où se construit le plus séduisant des "gais savoirs". Tout cela s'interrompt en janvier 1889.  J. L. "

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  • Nietzsche. La conquête d’une pensée...

    Les Presses universitaires de France viennent de publier un essai de Patrick Wotling intitulé  Nietzsche. La conquête d’une pensée. Ancien élève de l'Ecole Normale supérieure et professeur à l'université de Reims, fondateur et directeur du Groupe international de recherches sur Nietzsche, Patrick Wotling est déjà l'auteur d'un essai intitulé "Oui, l'homme fut un essai" - La philosophie de l'avenir selon Nietzsche (PUF, 2016).

     

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    " Complexe, énigmatique car radicalement novatrice, la pensée nietzschéenne donne le sentiment d’être trop dispersée pour pouvoir être saisissable. Du reste, y a-t-il un ou plusieurs Nietzsche ? Celui de L’Antéchrist et d’Ecce Homo est-il le même que celui de La Naissance de la tragédie ? Mais complexe ne signifie pas chaotique, et l’incertitude se dissipe si l’on repère les moments où se constituent ses positions fondamentales : quand la notion de pulsion se met-elle en place ? Avec quel ouvrage la théorie des valeurs apparaît-elle ? À quel moment la logique du sentiment de puissance est-elle identifiée ? Quand la philosophie est-elle comprise comme un dire-oui ? Dans quel livre la tentative de lire la réalité tout entière comme volonté de puissance se fait-elle jour ? Cet ouvrage apporte une réponse à ces questions. Il caractérise l’apport des principaux textes de Nietzsche, et montre que l’évolution de sa réflexion n’est pas faite de revirements ni d’abandons de thèses au profit de thèses nouvelles, mais d’un affinement progressif au sein d’une problématique invariante : conquête d’un mode de pensée réformé dont les grandes lignes sont dessinées dès son premier livre, La Naissance de la tragédie. "

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  • Une moto pour Barbara...

    Les éditions Auda Isarn continuent la réédition de l’œuvre de Saint-Loup en publiant son roman intitulé Une moto pour Barbara. Aventurier, journaliste engagé et écrivain, Saint-Loup, de son vrai nom Marc Augier, est l'auteur de nombreux récits et romans dont Face nord, La peau de l'Aurochs, La nuit commence au Cap Horn (Transboréal, 2015), La République du Mont-Blanc (Auda Isarn, 2020) et Nouveaux Cathares pour Montségur (Auda Isarn, 2020). 

     

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    " Barbara, jeune avocate révoltée par le barrage que les hommes établissent devant son ambition de devenir un maître du barreau, devient un mannequin riche et célèbre. Menacée par la loi de son milieu – inversion sexuelle, drogue, prostitution dorée –, elle est sauvée par la moto dont elle s’éprend au cours d’une séance de pose. Elle essaie d’être pilote de vitesse mais, là non plus, ne réussit pas à vaincre les hommes. Elle rassemble alors une bande de contestataires qui trouvent, dans la moto, le cheval de Don Quichotte. Bientôt, la bande ne comprendra plus que des filles décidées à ressusciter les cruelles Amazones. Elles préparent l’enlèvement du Président de la République quand… Janus, l’oncle de Barbara, mystérieux animateur de sociétés secrètes qui, depuis 1945, reprennent le flambeau de Thulé et de l’Ordre Noir, intervient. L’aventure finira dans le Grand Nord de la Sibérie.

    On retrouve dans ce roman l’amour de Saint-Loup pour la moto, vue comme une chevalerie moderne, et les grands thèmes de l’auteur : la volonté de puissance, la primauté du héros civilisateur, la quête du Graal. Car Une moto pour Barbara n’est rien d’autre qu’une version moderne de Parsifal. "

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  • Physiologie de la volonté de puissance...

    Les éditions allia viennent de publier un recueil de textes de Wolfgang Müller-Lauter intitulé Nietzsche, physiologie de la volonté de puissance. Philosophe, spécialiste d'Heidegger et de Nietzsche, Wolfgang Müller-Lauter a dirigé presque jusqu'à sa mort la revue Nietzsche-Studien.

     

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    “ « Cette étude est consacrée à la question de la volonté de puissance. Dans cette optique nous tenterons d’évoluer intégralement dans l’horizon de la philosophie de Nietzsche. Nous verrons quelle problématique complexe se cache derrière l’énoncé en apparence si anodin : le monde est la volonté de puissance et rien d’autre. »
    Nietzsche s’est employé activement, avec un incontestable succès, à rendre à peu près impossible toute vulgarisation, toute simplification de sa pensée qui n’en annule pas purement et simplement la teneur. L’immense mérite de l’approche de Müller-Lauter tient à ce que pour la première fois peut-être, dans l’histoire déjà longue pourtant de la critique nietzschéenne, s’est mise en place avec ces travaux une lecture véritablement non-dogmatique car scrupuleuse, rigoureuse sur le plan philosophique, strictement immanente, qui s’interdit d’importer dans la pensée de Nietzsche, pour en forcer l’accès, des éléments de doctrine, voire des thèses qui n’y sont pas et ne peuvent pas y être – procédé caractéristique de ce que Nietzsche a lui-même théorisé sous le terme de « manque de philologie » ".
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  • L’idée européenne comme volonté de puissance...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Gérard Dussouy, cueilli sur Metamag et consacré à l'urgence de relancer l'édification d'une véritable Europe-puissance... Professeur émérite à l'Université de Bordeaux, Gérard Dussouy est l'auteur d'un essai intitulé Contre l'Europe de Bruxelles - Fonder un Etat européen (Tatamis, 2013).

     

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    L’européisme (l’idée européenne) comme volonté de puissance

    Tout le monde connaît l’aphorisme de Nietzsche « l’Europe se fera au bord du tombeau » !

    Hé bien, elle n’en est plus très loin, de ce bord ! De tous les points de vue, mais plus particulièrement de ceux de la démographie (la dimension qui conditionne toutes les autres) et de la culture. C’est, probablement, une affaire de trente à cinquante ans, compte tenu de la concomitance de la dénatalité européenne et de l’amplification continue de l’immigration (Cf. les dernières données de l’INED), pour que la civilisation européenne, engloutie ou ravagée, perde toute son authenticité !

    Or, rien ne dit que les Européens ne vont pas y aller sans réagir, dans le tombeau de l’Histoire, les uns après les autres, faute d’une prise de conscience rapide, et faute de s’être unis, car il n’existe aucune réponse nationale possible, sauf pour les Tartarins du souverainisme, aux défis du monde du XXI° siècle. Sans une volonté de puissance de leur part, leur destin, commun et funeste, est scellé.

    La revitalisation de l’idée européenne, qui a perdu tout son sens, dénaturée et dévaluée qu’elle a été, toutes ces dernières années, par l’idéologie libérale et mondialiste, est le dernier espoir. Après avoir permis l’instauration de la paix entre les Européens, l’européisme est désormais la condition de leur survie. Conçu sous la forme d’une volonté de puissance qui permet d’articuler prise de conscience et praxis.

    Nous entendons ici, par volonté de puissance, deux choses

    D’abord, la volonté d’être et de durer, de rester soi-même dans l’Histoire d’un monde devenu connexe et synchrone, en se donnant pour cela les moyens politiques adaptés, ceux de la puissance continentale.

    Ensuite, et cela va de pair, la volonté de déclencher, à l’échelle du continent, un processus de convergence. Celui par lequel des forces ou des configurations de forces donnent sens à une action, à une politique, en permettant de créer une autre configuration que celle que l’on subit. Pour tout dire, en rendant possible une métamorphose, celle  de l’Europe, bien entendu.

    C’est, autrement dit, la volonté de rassembler les forces vives du continent pour re-construire l’Europe sauvegarde (comme entité politique souveraine, protectrice de ses nations et de leur civilisation singulière) et pour réinventer l’Europe des esprits libres (ceux qui sont débarrassés de toute anxiété métaphysique ou moraliste) qu’elle a été.

    Ceci implique la réfutation du nationalisme, parce qu’il est source de repli et de dispersion et par conséquent d’affaiblissement, et qu’il ne permet pas de lutter contre le mondialisme, qu’il soit libéral et affairiste, tel qu’on le connaît aujourd’hui, dominant et arrogant, ou qu’il procède du vieil internationalisme marxiste qui aspire à une « autre mondialisation », mais qui reste un melting pot idéalisé. Car dans ces deux cas les intérêts et les identités des peuples européens sont sacrifiés au nom d’une vision millénariste du monde qui les invite à disparaître. Et puis, ce n’est pas l’heure de rouvrir des querelles entre Européens. Ce que pourraient être tentés de faire des partis populistes-nationalistes parvenus au pouvoir, dont les programmes économiques démagogiques auraient aggravé les problèmes qu’ils prétendaient résoudre.

    L’européisme est donc la volonté de penser le monde tel qu’il est, sans illusion, et de permettre aux Européens d’affronter ses défis en créant pour cela de nouvelles formes politiques, en donnant à l’Europe l’instrument étatique indispensable à sa continuité. Et dans ce but, la volonté d’organiser la configuration de forces qui permettra de forger cet instrument.

    Etre et durer en changeant l’Union européenne

    L’Europe politique, ou l’État européen, fédéral, régional et multinational, est une nécessité historique.

    La mondialité a sonné le glas des États-nations, tous aussi impuissants les uns que les autres. Leur cycle s’achève, et les peuples en ont bien conscience qui, au cours des dernières consultations électorales en Autriche, aux Pays-Bas et en France ont, finalement, refusé leurs suffrages aux partis séparatistes, à ceux qui préconisent la sécession, soit avec la zone euro, soit avec l’Union européenne.

    Le cycle moderne des États-nation est en train d’être remplacé par le cycle postmoderne des hégémonies. Celui des puissances qui ne se limitent pas à  contrôler de vastes territoires, comme au temps pré-moderne des empires, mais qui détiennent des positions dominantes dans les sphères économique, financière, technologique, et idéelle. Celles qui ont accès au pouvoir mondial et qui fixent les normes.

    Comme parler de pouvoir, c’est parler de domination, les nations européennes sont désormais face à un dilemme :

    – ou bien elles s’accrochent à leurs États nationaux respectifs, et alors, elles demeureront ou passeront sous l’influence de l’une des grandes hégémonies ;

    -ou bien, elles se sauveront ensemble en abandonnant l’État national pour se retrouver dans un autre Etat , un Etat de taille continentale, à la mesure de ceux qui mènent déjà le monde. Dans cette perspective, répétons le, les derniers échecs électoraux des populistes n’impliquent pas une adhésion ferme des Européens à l’UE telle qu’elle existe, et surtout pas à sa politique, mais ils révèlent un sentiment, même implicite, de solidarité européenne face aux périls et aux expansionnismes.

    Certes, l’hégémonie américaine qui a imposé le libre-échange et le règne de la finance sur toute la planète, semble sur le recul. Surtout que Donald Trump a promis à ses électeurs d’en finir avec les traités de libre-échange contractés par les États-Unis. Ce qui met un terme à la négociation du traité transatlantique, et ce qui est toujours cela de gagné. Mais, il faut rester méfiant, parce qu’il ne pourrait s’agir que de velléités du nouveau président qui, dans bien domaines, est déjà revenu sur ses positions électorales. Il faut s’attendre à d’autres volte-face de sa part. Et, de toutes les façons, un mandat de quatre ans, cela ne représente rien dans la longue durée, celle à laquelle appartient la politique interventionniste américaine, inchangée depuis Théodore Roosevelt.

    Cependant, la mondialisation est maintenant de plus en plus chinoise

    La montée en puissance de la Chine est irrésistible. Il faut avoir conscience que son niveau actuel correspond à la modernisation, d’à peine, oserait-on dire, 300 à 400 millions de Chinois. Et il en reste plus d’un milliard en réserve ! D’ailleurs le plan 2049 (en l’honneur du centenaire de la révolution) arrêté par Pékin ne cherche pas à dissimuler ses intentions de permettre à la Chine de prendre le leadership mondial. Les Européens n’ont pas encore compris que la réorganisation des affaires planétaires se fait à partir de l’Asie orientale.

    Non seulement le monde a basculé, du mauvais côté pour les Européens, mais il est aussi le champ des expansionnismes démographiques et culturels, issus du monde musulman et d’Afrique, dont l’Europe commence, seulement, à ressentir les premiers effets. Il est probable que la conjonction des crises politiques, économiques, climatiques et alimentaires, inéluctables, va les renforcer, de manière quasiment mécanique.

    Ni l’Union européenne, parce que ses dirigeants ne veulent pas connaître la nouvelle donne mondiale lourde d’adversités, ni les États-nation, parce qu’ils ne le peuvent pas, sont en mesure de faire face. Il faut dire qu’un grand nombre de ces derniers, parce qu’ils sont mal gérés depuis longtemps, et qu’ils se sont fortement endettés, sont passés sous le contrôle des oligopoles financiers et bancaires auprès desquels ils ont emprunté sans discernement. Les abus de l’État-providence (le laxisme social dans beaucoup de pays européens) ont abouti à l’épuisement et au démantèlement de la puissance publique.

    Comment, dans ces conditions, peut-on, renouer avec la souveraineté qui, en termes concrets, réalistes, signifie la levée des contraintes extérieures les plus lourdes, et se traduit par la possibilité de s’auto-organiser en fonction de ses propres valeurs, de ses identités, de ses préférences éthiques, sociales, et de ses traditions ? Sinon qu’en envisageant la chose dans un cadre politique autonome parce que puissant, suffisamment vaste et riche en ressources pour conduire des politiques de restructuration et des stratégies impossibles à mener à l’échelle nationale. La seule option réaliste est la prise du pouvoir dans l’Union Européenne, avec comme but sa transformation en un Grand Régulateur.

    La volonté de réunir la configuration de forces favorable au changement

    La politique de la table rase, prônée par certains, comme le voie du repli, choisie par d’autres, sont des impasses. Il est toujours difficile de reconstruire sur des ruines, surtout quand la convergence des volontés est faible.

    Malgré l’euro-pessimisme écrasant, l’alternative reste « l’Europe ou la mort », comme le stipulait, dans un livre déjà ancien, Michel Poniatowski. En dépit de tout ce qui peut être dit et écrit, il n’en existe pas d’autres. C’est bien pourquoi, l’européisme se comprend comme la volonté d’organiser la configuration de forces capable d’obtenir le changement en Europe.

    Il ne faut pas détruire Bruxelles, mais s’en emparer. Et dans cet objectif, il convient de fédérer toutes les forces éclairées qui entendent sauvegarder les identités et les intérêts des peuples européens, à quel qu’échelon territorial que ce soit. La dispersion et la prétention à faire bande à part sont des faiblesses rédhibitoires. Au contraire, le regroupement des forces populaires dans un même faisceau et dans la même direction est la seule force qui, d’ores et déjà, ferait pâlir de peur la Commission européenne, et l’obligerait à revoir sa politique.

    Pour inspirer confiance aux électeurs européens, ces forces identitaires doivent montrer qu’elles sont responsables, qu’elles sont en prise avec le réel, celui du monde globalisé, sans nostalgie. Et qu’elles sont capables d’innover, de créer des formes politiques adaptées au monde d’aujourd’hui. C’est par l’agrégation de leurs moyens, par l’agglutination de leurs déterminations que les partisans européens pourront se réapproprier l’Union.

    Le mot d’ordre est à la convergence, au rassemblement

    Face à un environnement mondial plein de risques et de menaces, l’État communautaire est le seul cadre de survie des nations européennes. Cela les mouvements protestataires ne l’ont pas encore compris. Et s’ils ne le comprennent pas, Ils sont condamnés à n’être que les témoins d’une désespérance à laquelle ils n’ont pas les moyens de répondre. La solution n’est pas dans le retour aux frontières intérieures de l’Europe, mais dans le renforcement de la frontière extérieure de l’Europe.

    L’Histoire est une succession de contextes et tout reste possible

    L’Histoire n’a aucun sens obligatoire. Elle est une succession de configurations dont chacune est héritière de la précédente, sans jamais être une réplique de ce qui a déjà existé. Et chaque configuration n’est pas autre chose que le résultat de l’interaction des hommes. Autrement dit, ceux d’entre eux qui le veulent et qui s’en donnent les moyens, peuvent toujours recontextualiser leur monde, le refaire. Rien n’est jamais acquis, mais rien n’est jamais perdu. Rien n’est prescrit, et il n’y a pas de complot.

    Certes, la situation actuelle de l’Europe est déprimante, plus par la léthargie des Européens et par la résignation qui semble les avoir gagnés. La crise sociale qui frappe une partie des populations européennes épargne tous ceux que le système libéral mondialisé favorise et tous ceux qui vivent sur les acquis d’un système qui n’est plus finançable. Dès lors, les élites qui dirigent ce système fondent son maintien sur l’approfondissement du marché et la libération totale des flux humains, matériels et immatériels.

    Mais cette politique engendre une endogamie sociale de plus en plus aiguë, entre les élites mondialisées et leurs peuples originaires, et communautaire, de moins en moins lisse, entre les populations autochtones et les différents groupes ethnoculturels allogènes.

    Dans ces conditions, le contexte historique pourrait vite devenir un contexte de crises. A commencer par un nouvel accès de fièvre dans la crise migratoire non-stop, compte tenu des masses de migrants qui se pressent sur la rive sud de la Méditerranée. La France, plombée par ses déficits jumeaux(public et commerce extérieur), évitera-t-elle encore longtemps la faillite ? Et combien de temps le colosse économique allemand, où la précarisation sans fin de l’emploi pallie au drame du chômage, tiendra-t-il sur son pied d’argile démographique ? Selon les réponses apportées, ou pas, à ces questions cruciales et à bien d’autres encore résulteront, peut-être, des situations favorables au changement.

    Dans cette perspective, deux types d’acteurs existent, qui sont compatibles et qui pourraient converger dans leurs actions : certains des États existant et des mouvements de partisans européens. En effet, parmi les Etats, quelques uns comptent des gouvernants qui ont pris acte de toutes les dérives de l’Union européenne, de toutes ses orientations politiques nocives pour les peuples européens, de l’insignifiance ou de l’indifférence à la cause européenne de ceux qui la dirigent, et qui tentent déjà de changer le cours des choses. On pense ici aux États du groupe dit de Višegrad.

    Au plan des mouvements de partisans, tout reste à faire. Peut-être que les échecs répétés des populistes-nationalistes ouvriront bien des yeux ? Il n’est pas impossible, en tout cas risquons l’analogie, que ce qui s’est passé dans la Chine subjuguée et en partie démembrée de la fin du 19ème siècle, où la révolte des Boxers a abouti à la révolution nationaliste de 1911, se répète dans une Europe en crise et ouverte à toutes les pénétrations étrangères. Le souci, par rapport à cette expérience historique victorieuse, est l’absence, dans le Vieux continent, de générations conséquentes de jeunes adultes, homogènes parce qu’ouvrières et paysannes, comme il en existait au siècle dernier. La résignation guette les peuples vieillissants.

    Quoi qu’il en soit, le processus à engager est celui d’une agrégation  de tous les acteurs potentiels. Il faut inventer des organes politiques transnationaux dont l’objectif, à terme, est l’investissement coordonné du Parlement européen. Car le Parlement a les pouvoirs de changer l’Union européenne de l’intérieur, dès lors qu’existerait en son sein un bloc nettement majoritaire de députés solidaires dans leur vision d’une Europe émancipée de ses vieux tabous idéologiques, et conscients de la précarité de son avenir.

    Le changement est toujours possible, à la condition qu’il soit voulu, quand le contexte lui devient favorable. Et c’est l’organisation de la lutte qui permet de garder l’espoir.

    Gérard Dussouy (Metamag, 29 juin 2017)

     

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